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Just a Finger : Galerie Littéraire
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7 octobre 2020

N’entre pas ici, Arthur

 

 

O flots abracadabrantesques
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé !

Arthur Rimbaud, Le Cœur supplicié

1978rimbaud-collage-paris-charleville

Comme dans un mauvais rêve

La mémoire de la République ne saurait tenir au seul Panthéon ;
à l’heure des territoires abandonnés, l’obsession centralisatrice révèle un aveuglement que les cris de désespoir des « gilets jaunes » ne parviennent pas à guérir. Laissez donc à Charleville le soin d’honorer son enfant, fût-il « terrible » : Rimbaud n’est pas plus la propriété de Charleville que de Paris, mais il se trouve qu’il y est né, qu’il y a grandi et qu’il est enterré là. Elle reste pour lui la ville de tous les départs. En vertu de quelle prétendue supériorité jugerait-on les Carolomacériens indignes du poète ? Parce qu’il déchirait à belles dents sa ville natale, « superbement idiote entre les petites villes de province », avec ses « bourgeois poussifs » et ses « rentiers à lorgnons » ? Mais, au jeu des citations, on déverserait à pleines brouettes son exécration des importants de toute nature et de tous lieux, sa détestation de « la putain Paris » dont il suppliait de cacher « les palais morts dans des niches de planches ».

Comme dans un mauvais rêve,
je vois passer, en triste calèche, les cendres de Paul Verlaine et d’Arthur Rimbaud
remontant la rue Soufflot, avec son cortège d’officiels enrubannés et je me sens orphelin, privé du lien le plus fort qui me relie à notre terre commune, le feu de ces esprits rebelles.

D’aucuns le chuchotent, le Panthéon est mal chauffé : pour Verlaine, cela ne le changerait guère des prisons et des hôpitaux dont il était coutumier – il y trouverait même le gîte à bon compte. Mais pour Rimbaud, le contresens est total. Pour ce fils du soleil, fulminant contre l’homme blanc et les inepties occidentales qui, à 18 ans, a tourné le dos au Vieux Continent et à la littérature, cette panthéonisation serait une monstruosité.

N’entre pas ici, Arthur Rimbaud… Il faut partir encore.

Quant à nous, honorons sa dernière supplique, dictée à sa sœur Isabelle le 9 novembre 1891, dans une lettre adressée au directeur des Messageries maritimes. Vaincu par la fièvre, amputé de sa jambe droite, il suppliait qu’on le laissât repartir vers ce soleil d’Orient sans lequel il ne pourrait vivre : « Je suis complètement paralysé : […] Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord. » Point d’aspiration au Panthéon dans ce cri de désespoir, mais le désir intact de lointain et d’ailleurs, l’appel encore de Harar et de Zanzibar. Ne trahissons pas ce rêve-là.

Elle est retrouvée.

Quoi ? – L’Eternité.

C’est la mer allée

Avec le soleil.

Dominique de Villepin : « N’entre pas ici, Arthur Rimbaud »

 

Manuscrit Voyelles Rimbaud

 

Tout acte de panthéonisation est un acte éminemment politique

VACARME : Bernard Jeannot, en tant qu’administrateur du Panthéon, vous êtes bien placé pour observer les pratiques d’admiration...

Bernard Jeannot : Je m’occupe de l’Arc de Triomphe et du Panthéon à la fois. L’Arc de Triomphe est un lieu où se pratiquent des cérémonies du souvenir plutôt que de l’admiration. Pour le Panthéon, c’est différent. C’est la basilique toute jeune, vive, voulue par Louis XV, et transformée par la Convention en 1791 en sépulture pour les grands hommes. La Révolution française y a porté deux personnages fondateurs de la France : Voltaire et Rousseau. À partir de Napoléon, chaque régime a cherché à s’enraciner dans une légitimité historique traduite dans la décoration du lieu. Tout acte de panthéonisation est un acte éminemment politique : la Convention y a porté Mirabeau, Mitterrand y a porté Pierre et Marie Curie...

Ce qui m’intéresse actuellement, c’est de montrer comment les personnages enterrés au Panthéon ont été l’objet de mythes extraordinaires. Je prépare une exposition qui s’intitule : « Léon Gambetta, un saint pour la République ». Quand il est mort, on l’a découpé en morceaux. Un œil à Brive, une jambe ailleurs. Il y a eu une production journalistique, artistique extraordinaire, on a fait des assiettes et des pendules avec l’image de Gambetta parlant à l’Assemblée. Tous ces personnages, à leur époque, ont engendré une admiration extrêmement puissante. De même pour Guynemer qui est mort le 11 septembre 1917 :
c’est encore un héros, un mythe.

Qui est au Panthéon

VACARME : Voltaire, dans une de ses lettres philosophiques écrites d’Angleterre, s’étonnait que des grands hommes soient offerts en pèlerinage, alors qu’à Saint-Denis il n’y a que des rois. Le Panthéon est un monument du XVIIIe mais est-ce que sa construction ne correspond pas à un moment où la patrie a besoin de saints laïcs, d’un lieu de pèlerinage ? Deuxième question : est-ce qu’il a des campagnes de dépanthéonisation ? Est-ce qu’il a des gens qui s’offusquent de ce que certaines personnes soient offertes à l’admiration publique ?

30Bernard Jeannot : Dans l’histoire, le premier entré, Mirabeau, en est sorti deux ans plus tard. Marat a fait un passage encore plus rapide : il n’est resté que deux mois. Il pourrait y avoir une campagne de presse pour la dépanthéonisation d’André Malraux ! Tous les 22 janvier, lors de l’anniversaire de la mort de Louis XVI, nous sommes très vigilants, car il y a encore des gens qui considèrent que le Panthéon a été volé à l’Église ; et il y a des gens qui, au plus niveau de l’État, considèrent que le Panthéon doit redevenir un monument religieux, la Basilique Sainte-Geneviève. L’Arc de Triomphe, c’est moins conflictuel : il n’est revendiqué, depuis 1921, que par les anciens combattants. Il n’empêche qu’idéologiquement l’Arc de Triomphe est à droite et le Panthéon est à gauche. C’est comme pour les manifestations : n’importe qui ne défile pas n’importe où. Par exemple, François Mitterrand est allé à l’Arc de Triomphe déposer une gerbe parce que c’est le rituel de la République, mais aussi une rose sur le tombeau de Jaurès...

Avec Simone Veil, cinq femmes désormais au Panthéon

VACARME : Que vient-on voir au Panthéon ?

Bernard Jeannot : Dans la crypte du Panthéon il n’y a rien à voir. Les tombeaux sont des boîtes rectangulaires, dont la majorité est vide : pour tous les personnages enterrés au XIXe voire au début du XXe, il ne reste rien des corps. A-t-on besoin d’être sûr d’avoir en face de soi un corps pour se représenter un personnage dans son actualité, ses erreurs, le combat qu’il a mené ? Je crois que l’on est totalement dans le symbolique. La crypte du Panthéon est un jardin de l’esprit.

Pierre Serne : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Durant mon service militaire, je faisais visiter le tombeau de Napoléon. L’une des questions qui revenait tout le temps était : « Est-ce qu’il y a vraiment des restes dans le tombeau ? ». Il fallait expliquer dans quel sens était le corps, ce qu’il y avait avec lui, s’il avait brûlé... Les gens ne s’intéressaient pas à l’Histoire, mais venaient pour toucher du doigt le personnage en question. Ce n’est pas seulement vrai du grand public. Lorsque Fidel Castro est venu en visite à Paris, on l’a vu au petit matin venir toucher le tombeau de Napoléon. Des gens dont on pourrait penser qu’ils sont au-delà de cette incarnation ont besoin d’une réalité tangible.
Bernard Jeannot : C’est vrai. Si l’on pouvait avoir des sépultures transparentes, il n’y aurait pas 400 000 personnes au Panthéon mais 4 millions !

Fabien Nègre - Van Gogh au Panthéon ? (Vacarme 1997/3)

 

Portrait du Français Arthur Rimbaud blessé après boire par son intime le poète français Paul Verlaine

 

L'humanité a besoin de ses grands hommes,
une fois qu'ils sont morts, pour se rassurer sur elle-même.
Les panthéons sont des alibis où l'on embaume la gloire quand on peut l'honorer sans la craindre.

Robert Mallet, Apostilles ou L'utile et le futile

 

SteetArt UrbanPoetry

 

L'apothéose n'est Panthéon
S'il faut que j'éclose
Je renaîtrai bourgeon

©   Justinius Digitus, C’est un trou de verdure où chante une rivière

 

 

Texte complet affiché dans les commentaires (ci-dessous) 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
J
Arthur Rimbaud : "Nuit de l’enfer" <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. <br /> <br /> — Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé ! <br /> <br /> — Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !<br /> <br /> J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes ! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?<br /> <br /> Les nobles ambitions !<br /> <br /> Et c'est encore la vie ! — Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n'est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j'y suis. C'est l'exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! l'enfer ne peut attaquer les païens. — C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.<br /> <br /> Tais-toi, mais tais-toi !... C'est la honte, le reproche, ici : Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. — Assez !... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles. — Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j'ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection... Orgueil. — La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j'ai peur. J'ai soif, si soif !<br /> <br /> Ah ! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte Vierge !... — Horreur de ma bêtise.<br /> <br /> Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien... Venez... J'ai un oreiller sur la bouche, elles ne m'entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu'on n'approche pas. Je sens le roussi, c'est certain.<br /> <br /> Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu : plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairai : poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.<br /> <br /> Ah çà ! l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde. — La théologie est sérieuse, l'enfer est certainement en bas — et le ciel en haut. — Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.<br /> <br /> Que de malices, dans l'attention dans la campagne... Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages... Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber... Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d'une vague d'émeraude...<br /> <br /> Je vais dévoiler tous les mystères : mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.<br /> <br /> Écoutez !...<br /> <br /> J'ai tous les talents ! — Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. — Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai de l'or, des remèdes.<br /> <br /> Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, — même les petits enfants, — que je vous console, qu'on répande pour vous son cœur, — le cœur merveilleux ! — Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières ; avec votre confiance seulement, je serai heureux.<br /> <br /> — Et pensons à moi. Ceci me fait un peu regretter le monde. J'ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.<br /> <br /> Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.<br /> <br /> Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las !<br /> <br /> Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil, — et l'enfer de la caresse ; un concert d'enfers.<br /> <br /> Je meurs de lassitude. C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.<br /> <br /> Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! <br /> <br /> — Je suis caché et je ne le suis pas.<br /> <br /> C'est le feu qui se relève avec son damné.
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