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Just a Finger : Galerie Littéraire
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28 septembre 2020

T'es qu'un point sur les " i " du chagrin de la vie

 

 

Chanteuse et actrice, Juliette Gréco est morte le 23 septembre, à Ramatuelle (Var), à l’âge de 93 ans.
Celle qui fut la muse du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre avait répondu à nos questions en décembre 2015.


Juliette Greco, 1950s

« Je ne serais pas arrivée là si…

… Si on ne m’avait pas aimée, c’est la base de tout. Si la grande comédienne Hélène Duc ne m’avait pas recueillie, comme si j’étais sonenfant, et tenue à bout de bras. C’était la première fois que l’on m’aimait ainsi. Et c’était me mettre au monde une deuxième fois. J’ai débarqué chez elle un matin de 1943. J’avais 16 ans. Je sortais de la prison de Fresnes, j’étais seule et paumée. Ma mère, qui était engagée dans la Résistance, m’avait toujours dit d’aller chez Hélène s’il arrivait quelque chose. Elle avait été mon professeur de Français à Bergerac, et déjà, elle m’avait prise en tendresse, moi qui ne parlais guère et que ma mère n’aimait pas. Alors ce matin-là, j’ai couru chez elle dans ma robe bleu marine et mes souliers en raphia. Et elle m’a ouvert les bras.

Votre mère et votre sœur avaient été déportées à Ravensbrück.

Je ne le savais pas encore. Ma mère avait été arrêtée puis emprisonnée à Périgueux et Charlotte et moi avions sauté dans un train vers Paris. Mais nous avions été suivies. Et alors que ma sœur s’apprêtait à traverser la place de la Madeleine pour me rejoindre dans un bistrot, une grosse Citroën a pilé net devant elle, et trois hommes l’ont saisie et jetée dans la voiture. Je suis sortie comme une fusée et j’ai tambouriné sur la vitre. Charlotte a dû dire : c’est ma sœur. Et j’ai été embarquée par la Gestapo. Avant d’arriver au siège, Avenue Foch, j’ai échangé discrètement mon sac avec le sien. Je me doutais bien qu’elle transportait des papiers compromettants. Puis, en attendant d’être interrogée, j’ai demandé à aller aux toilettes et je les ai fait disparaître dans la cuvette des WC. Cela n’a servi à rien. Au petit matin, on était toutes les deux transférées à la prison de Fresnes. Je n’en suis sortie que parce que j’étais très jeune et pas juive.

Cette expérience de la prison a été décisive ?

Ô combien ! J’avais déjà un tempérament mutique, mais après la prison, je ne voulais plus parler. J’y avais connu l’insulte, le mépris, les humiliations. Comme ce moment si blessant où l’on nous obligeait à sortir nues de la douche. Mortifiée, je serrais ma robe contre moi. A 16 ans, c’est insupportable. Je pense qu’il y a très peu de gens à m’avoir vue toute nue depuis cet épisode. Je ne pouvais plus.

fresco by French street artist and painter Christian Guemy depicting French singer Juliette Greco in Fresnes Prison, France

Hélène Duc a donc joué le rôle d’une mère ?

C’est MA mère ! L’autre n’a fait que me mettre au monde une première fois. Je ne vais jamais aux enterrements, mais je suis allée à celui d’Hélène. Elle m’a empêchée de mourir. Regardée, considérée, reconstruite. C’est Hélène qui a fait ce que je suis.

L’autre ne vous regardait pas ?

Elle ne m’aimait pas. Elle m’a dit un jour que j’étais le fruit d’un viol. J’étais encore très jeune et ignorante, j’ai donc désespérément cherché quel pouvait être cet arbre au nom étrange qui donnait des fruits. Elle m’a aussi dit que j’étais un enfant trouvé.

Quelle cruauté !

Oui. Elle avait la haine. La hargne. C’est traumatisant et ça vous bloque une vie ! Sans doute étais-je, en effet, le fruit d’un viol par son mari. Donc extraordinairement mal venue. Je n’étais qu’un mauvais souvenir. En revanche, elle aimait ma sœur.

Comment a-t-elle réagi quand elle vous a vue devenir célèbre, adulée par le public ?

Vous savez ce qu’elle m’a dit ? Qu’elle aurait pu faire une plus belle carrière que moi car elle chantait infiniment mieux. C’est drôle, hein ? Elle n’a pas accepté que je réussisse. Je ne le méritais pas. Je ne méritais rien.

JULIETTE GRECO - Film star Pin Up PHOTO POSTCARDEst-ce que cela a pu vous servir d’aiguillon ?

Oh pas du tout ! Une gêne, une douleur, ça oui ! Une douleur toujours présente, même si je garde pour elle une immense admiration. C’était une femme engagée, intelligente, courageuse, belle. Elle a défilé en 36 avec Blum. Elle s’est lancée dans la Résistance et quand elle a été arrêtée, elle a été amenée huit jours de suite au peloton d’exécution, avec « en joue » et jamais « feu ». Et elle n’a pas parlé. Et puis elle est entrée dans l’armée et elle a fait l’Indochine. C’était un héros. Pas une mère. Mais je l’ai aimée. Maintenant non. Je la comprends, je la respecte, mais je ne l’aime plus.

Peintres, écrivains, philosophes… Des gens peu ordinaires se sont vite trouvés sur votre chemin.

Oui, j’ai été aimée, beaucoup, beaucoup. Etrangement.

Pourquoi étrangement ?

Parce que je ne comprends toujours pas pourquoi. J’étais encore une gamine quand Hélène qui était pensionnaire de l’Odéon m’a fait rencontrer des gens que je regardais avec des yeux écarquillés. Et Merleau-Ponty s’est subitement entiché du petit truc sauvage que j’étais. Sartre, Simone de Beauvoir, Boris Vian, Queneau, Camus… Pourquoi donc ? Je me le demande toujours, j’étais une enfant, un champ à semer et labourer. Je ne disais pas un mot et j’écoutais, j’écoutais. Sartre m’a écrit très tôt plusieurs chansons. Un jour, il a débarqué avec un texte qui s’appelait : Ne faîtes pas suer le marin. Alors, avec cette incroyable insolence de la jeunesse, j’ai dit : « Mais c’est beaucoup trop long ! » Il était sidéré : « Dites donc, Gréco, vous me demandez de couper mon texte ? » J’ai dit : « Bien sûr ! Je ne peux pas chanter une chanson de cinq minutes ! » Et il a ri. J’avais un rapport naturel avec des gens que je ne savais pas alors être des génies. J’étais juste contente qu’on m’aime. Mais ça ne m’a pas donné pour autant confiance en moi. Je ne suis jamais sûre de plaire ni d’être à la hauteur. Je fais des efforts désespérés, ça ne marche pas. Pourtant il serait temps !

De quoi êtes-vous le plus fière ?Juliette_greco_belfagor

De mon travail. Je considère avoir fait tout ce que je pouvais pour que ce soit beau. Avec rigueur, exigence, amour. Je suis une servante de la poésie et des beaux textes, extrêmement pointilleuse sur la qualité. J’ai fait des choix difficiles, jamais commerciaux. Et je suis restée libre ! Incorruptible ! Imputrescible !

Et combative.

Oui, ça fait 88 ans que je suis en guerre. Tant de choses me déplaisent dans notre société. Mais je me suis détournée de la politique.

Vous votez ?

Bien sûr ! Demandez au chat s’il veut du lait ! A gauche. Je ne peux pas m’en empêcher. Je n’ai jamais compris les valeurs de la droite. En revanche, oui, j’adhérais aux valeurs de ce qui était la vraie gauche.

Vous en parlez à l’imparfait.

Oui. Car avant, il y avait un idéal. Des valeurs humaines et de la générosité. Des élans du cœur et de l’esprit. On était fier d’appartenir à une certaine famille. Mais il n’y a plus de famille. C’est l’argent qui gouverne.

Juliette Gréco Robert DoisneauOù étiez-vous le vendredi 13 novembre, jour des attentats ?

A la maison. Je devais partir le surlendemain chanter à Berlin. Tout le monde m’a appelée : « Tu ne vas pas quand même ne pas partir ? » Mais comment donc ? Bien sûr que j’irai à Berlin. Je suis plus décidée que jamais à monter sur scène. Pas question de céder quoi que soit !

Mais qu’avez-vous ressenti au fond de vous ?

Cela m’a fait mal au corps, mal au cœur, mal à la tête, mal à la raison. Je ne vais pas bien du tout. Je ne dors pas. Ce sentiment de s’enfoncer dans une période de barbarie est terriblement angoissant. On recule à toutes pompes. Vers la non-culture. Le non-espoir. Quelle folie ! Tuer des jeunes gens qui écoutent de la musique ! Et se faire exploser au nom de la haine ! C’est aberrant.

Cela vous donne envie de faire passer des messages lorsque vous êtes en scène ?

J’ai toujours parlé ! Toujours défendu la liberté du corps et la liberté d’aimer qui on veut. Toujours manifesté pour la liberté de penser et de s’exprimer. Toujours dénoncé les rapports de classe. J’ai chanté en Espagne sous Franco et au Chili sous Pinochet. Des gens après le spectacle me remerciaient d’être venue alors que je ne faisais que mon devoir. Il faut parler et aller là où ça va mal.

La condition des femmes vous a toujours tenu à cœur.

C’est viscéral. J’ai un élan, une admiration, une inquiétude et un amour infini pour les femmes. Cela n’a fait que se fortifier au fil des ans. J’aime leur courage, leur intégrité. Et je suis révoltée qu’on leur manque tellement de respect. Totale solidarité.

Quel conseil donnez-vous aux jeunes femmes artistes qui viennent vous voir ?

Apprenez à dire non. C’est la première des choses. Refusez les coucheries, les conneries, les compromissions. Refusez les textes dégueulasses d’un producteur qui ne songe qu’à vous baiser sur un coin de bureau. Car il y a des choses inadmissibles dans ces métiers. Refusez l’humiliation. Restez dignes. Les femmes sont des hommes bien.

Propos recueillis par Annick Cojean - « Je ne serais pas arrivé là si… » 

 

Bandeau_Greco2

 

LA MORT, L'AMOUR ET GRÉCO


Et puis, le noir, c'est la couleur de la nuit.
C'est ce que j'aime. La nuit, depuis quelques temps, je la crains un peu. Elle ne m'apporte qu'insomnie, ce n'est pas toujours agréable.

Donc nuit blanche.
C'est curieux. Donc la nuit, pour moi, est un temps de réflexion.

La nuit, vous, ça n'a pas été que de l'insomnie.
De la folie, de la joie, de l'alcool, danser, faire l'amour, s'amuser, jouer… L'essentiel de ma vie, ce sont les nuits, plus belles que des jours.

Est ce que la nuit, c'est votre jour préféré ?
Tout à fait. Il y a une certaine impunité que je savoure. Il y a une chaleur, une moiteur, un parfum, parfois une odeur. La nuit est une chose sensuelle, sexuelle et folle. C'est un moment de vie assez intense. Le jour, les animaux bougent, les gens remuent… Le jour, c'est une sorte d'activité utile. La nuit, c'est une activité inutile et jouissive.

Buly1803.com, Hommage à Juliette Greco

Interview partie 2

Interview partie 1

  

 

De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil, jusqu'à l'été
Jusqu'au printemps, jusqu'à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve est encore fleuve
Voir si le port est encore port
M'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller
J'arrive bien sûr, j'arrive
Mais ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
À chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
À chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs, pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour, le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
Mais ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver


Jacques Brel, J’arrive 

 

Juliette-greco-anni-50

 

Sur l'autre rive
on voyait des champs de fleurs
baignées de soleil

©   Justinius Digitus, Mais nous y étions déjà

 

JULIETTE GRECO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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