Le bout du tunnel
Plein d'avenir ?
L'avenir me semblait plutôt se rétrécir chaque jour, le mien comme celui de l'Allemagne.
Lorsque je me retournais, je contemplais avec effroi le long couloir obscur,
le tunnel qui menait du fond du passé jusqu'au moment présent.
Jonathan Littell, Les Bienveillantes
Tous les acquis de compréhension modernes concernent le plasma des choses tandis que le noyau s'obscurcit.
Le progrès de la conscience, c'est aussi le progrès de l'incompréhensibilité du noyau des choses, de l'envers des choses.
Le progrès de notre époque, c'est aussi de progresser dans cette incompréhensibilité, d'entrer toujours plus profond dans le tunnel, dans le blackout, sans torches, sans lune, avec seulement le fourmillement des lucioles.
Edgar Morin, Le vif du sujet
L'heure de la rencontre était venue !
Comme si nos voies s'étaient rejointes, comme si nos âmes s'étaient ouvertes l'une à l'autre !
Quelles stupides illusions avais-je pu me faire ! Non, les galeries restaient toujours parallèles, même si maintenant le mur qui les séparait était comme un mur de verre et si je pouvais voir Maria comme une silencieuse et intouchable figure... Non, même ce mur n'était pas toujours transparent : parfois il redevenait de pierre noire et alors je ne savais ce qui se passait de l'autre côté, ce qu'elle devenait dans ces intervalles sans nom, quels évènements étranges avaient lieu ; je pensais même qu'à ces moments-là, son visage changeaient et qu'une grimace moqueuse le déformait et que peut-être il y avait des rires échangés avec un autre et que toutes cette histoires des galeries n'était qu'une ridicule invention à laquelle j'étais seul à croire et qu'en tout cas il n'y avait qu'un tunnel, obscure et solitaire : le mien, le tunnel où j'avais passé mon enfance, ma jeunesse, toute ma vie. Et dans un de ces passages transparents du mur de pierre j'avais vu cette femme et j'avais cru naïvement qu'elle avançait dans un autre tunnel parallèle au mien, alors qu'en réalité elle appartenait au vaste monde, au monde sans limites de ceux qui ne vivent pas dans les tunnels. Et peut-être s'était-elle approchée par curiosité d'une de mes étranges fenêtres et avait-elle entrevu le spectacle de mon irrémédiable solitude, ou peut-être avait-elle été intriguée par le langage muet, l'énigme de mon tableau. Et alors, tandis que je continuais à avancer dans mon étroit couloir, elle vivait au-dehors sa vie normale, la vie agitée que mènent ces gens qui vivent au-dehors, cette vie curieuse et absurde où il y a des bals, et des fêtes, et de l'allégresse, et de la frivolité. Et parfois il arrivait que, lorsque je passais devant une de mes fenêtres, elle fût là à m'attendre, muette et anxieuse (pourquoi m'attendait-elle ? Et pourquoi muette et anxieuse ?) ; mais parfois il lui arrivait de ne pas arriver à temps ou d'oublier ce pauvre être emprisonné et alors, le visage écrasé contre le mur de verre, je la voyais au loin insouciante, sourire ou danser, ou encore, ce qui était pire, je ne la voyais nulle-part et l'imaginais en des endroits interdits ou infâmes. Et je sentais alors que mon destin était infiniment plus solitaire que je ne l'avais imaginé.
Ernesto Sábato, Le Tunnel
Je fus comme un tunnel. Déserté des oiseaux,
la nuit m'envahissait de toute sa puissance.
pour survivre j'ai dû te forger comme une arme
et tu es la flèche à mon arc, tu es la pierre dans ma fronde.
Fui solo como un túnel. De mí huían los pájaros
y en mí la noche entraba su invasión poderosa.
Para sobrevivirme te forjé como un arma,
como una flecha en mi arco, como una piedra en mi honda.
Pablo Neruda, Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée : Les Vers du Capitaine
Les cheveux mouillés
Elle sortit d'une d'une bouche d'égout
Un rat à la main
Des lueurs fendaient le ciel
Un chat miaula plusieurs fois
© Justinius Digitus, La promesse d'un bon repas